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(En)quête d’identité


Retour à la maison de la photographe allemande Brigitte Bauer, qui réinvente son paysage culturel à l’Atelier de Visu. Entre espaces intimes et publics, elle prolonge son approche documentaire à la galerie La Tangente


Autour des maisons géométriques photographiées par Brigitte Bauer, des jardins, des plantations (on ne peut plus parler de nature) presque aussi bien dessinés, traçant des lignes et organisant des trajets, dégageant l’horizon. Parfois, le regard rebondit sur quelques éléments perturbateurs, des jouets d’enfant, un bac à sable, une cabane dans l’arbre, qui s’appropient le terrain pour mieux chasser la lassitude engendrée par ces paysages. C’est d’un retour à la maison qu’il s’agit, scène mille fois rejouée de la confrontation au passé, entre distance et appartenance. Brigitte Bauer avait quitté l’Allemagne pour la France il y a vingt ans, pour y retourner récemment faire les photographies exposées à l’Atelier de Visu, et "comprendre ce que j’ai fui et rejeté mais qui fait partie de mon identité." Pourtant, plus qu’un registre intime et autobiographique, on y est confronté à un paysage, un contexte culturel. Les vues atmosphériques de ces espaces, combinant les couleurs dans des compositions classiques, ne s’épuisent pas dans la contemplation. Brigitte Bauer développe une réflexion sur le paysage contemporain, confrontant l’imagerie de la nature aux modifications qu’exercent sur le territoire les mutations culturelles. Aucune nature n’est jamais vierge puisque notre regard n’est jamais vide - la sensation de beauté est construite et recyclée par la culture. La montagne a été inventée par les peintres paysagistes, comme le sont aujourd’hui le désert, la nature tropicale ou les glaciers par le tourisme et la publicité. En essayant de se trouver une identité, un attachement culturel à son pays d’origine, l’artiste imagine ses photographies de paysage en écho aux peintres romantiques, surtout Caspar Friedrich.

Brigitte Bauer articule territoire et mémoire de façon sourde, glissant des grands espaces aux climats privés des intérieurs. Là, devient plus sensible ce mélange de proximité et distance parfois cruelle que la photographie instaure avec son entourage. S’arrêtant sur les micro-paysages des objets de décoration domestiques, elle ne fuit pas l’humour d’un certain kitsch, des nains de jardin et compagnie, mais son regard sur l’ensemble, à la fois familier et étranger, ne tombe jamais dans l’anecdote. La famille est ainsi photographiée comme les paysages, intégrée au décor, "figurants de leur propre vie", dans des postures passives, sans emphase. Si un indice d’émotion semble surgir dans l’œil d’une vieille dame, plus proche, on passe d’emblée à un plan large d’un pavillon des plus ordinaires. En visitant l’Est du pays, les images s’éloignent plus encore dans la géométrie des architectures aux ciels gris.

Le va-et-vient entre sphère privée et espace public est aussi au centre du travail qu’elle présente à la galerie La Tangente. Contraste violent de lumière, on est propulsés dans le soleil écrasant d’Alexandrie, accentué par la crudité du support numérique (c’est un projet en phase préparatoire). Ici, des couples réinventent des espaces d’intimité un peu partout dans l’espace public, franchissant la surveillance des foyers moraux étriqués. Ce n’est pourtant que lorsqu’on s’éloigne d’eux pour avoir un contexte - des passants, une architecture d’ensemble - que la photographe réussit à donner un peu d’épaisseur à son propos (comme quand elle suggère la possibilité d’une rencontre par la seule présence des bancs vides). La ligne documentaire classique de Brigitte Bauer est parfois dans un équilibre fragile entre banalité distancée et engagement d’un regard sociologique. Une sensibilité discrète dans la construction de climats, jouant des ruptures dans l’accrochage. Toutefois, contrairement à l’usage de la photo dans l’art contemporain, ici l’exposition ne pose pas d’enjeux forts, et le catalogue (D’Allemagne, publié par Images en Manœuvres) semble s’affirmer comme la forme la plus aboutie de son travail. "Où se trouve réellement mon Allemagne ?" : Brigitte Bauer a finalement réinventé son Heimat (pays natal) dans le territoire de la pensée, un sans-lieu construit à partir d’un manque, une fiction personnelle.

Pedro Morais

 

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