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ZIBELINE

Vivre, pourtant


« Avec Madeleine, on ne s’est pas trompées, j’ai pas eu besoin de connaître son histoire pour voir qu’elle était de la même famille que moi, une famille si on peut dire, des gens qui ont un air commun, un air de dérive inscrit sur la figure. »


Les douze nouvelles du recueil de Neige Sinno sont pleines de cette sorte d’êtres qui ont « un air de dérive inscrit sur la figure ». Entre les Alpes et Marseille se croisent et se répondent des adolescents ou de jeunes adultes solitaires et farouches. Nora, Mado, Alba, David, Khaled et les autres traînent leur ennui ou bien bougent en tous sens, inscrivant leur errance dans les rues de la ville, à pieds ou en rollers, sur les sentiers forestiers, dans les cours de rivières toujours plus tumultueuses. Tous attendent de sortir de ce long vestibule obscur de la jeunesse, de trouver leur chemin vers l’indépendance.

Face à eux, le plus souvent, des adultes malmenés par l’existence, malades, violents, quand ils ne sont pas simplement absents. Mises à part quelques rares figures de femmes, de mères courage qui illuminent certains récits, la génération des parents a visiblement du mal à assumer son rôle, à guides ses ados égarés. Du coup, c’est entre eux que ceux-ci essaient tant bien que mal de tisser des liens, fragiles, éphémères, mais des liens. Car ils y croient, envers et contre tout, et gardent en eux, au plus fort du désarroi, une splendide énergie vitale. Partout, il y a toujours quelqu’un à rencontrer, quelque chose à découvrir ; même « la vie des rats », titre de la nouvelle qui ouvre le recueil, devient intéressante. Cette rage de vivre empêche les personnages, et le livre, de sombrer dans un pessimisme désabusé ou cynique. C’est l’une des qualités majeures de ce recueil, qui en révèle de nombreuses autres.

Il y a du Le Clezio dans les récits de Neige Sinno. Dans la vision poétique de la ville, de la mer, dans le contact chernel avec les éléments, dans les personnages vulnérables, marginaux, dans le leitmotiv de certains mots. Du Carver aussi, dans la peinture d’existences paumées, dans les détails parfois crus ou sordides, dans la béance inquiétante de certaines fins. Rien d’étonnant : la jeune universitaire a travaillé sur ces deux grands de la nouvelle contemporaine.

Il y a sans doute aussi énormément d’elle, dans ces jeunes filles en quête de sens et de chaleur, dans cet éloge funèbre d’une jeunesse qu’elle sait tout à la fois exalter et tenir à distance avec une surprenante maturité. Emouvante sans mièvrerie, l’écriture, d’une évidence rare, dessine une œuvre forte, ancrée dans le réel contemporain et pourtant universelle. On attend déjà la suite avec impatience.

Fred Robert

 

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